La rénovation thermique

Une transition énergétique complète et immédiate est nécessaire 

Les conclusions du troisième volet du sixième rapport du Giec sont implacables. Comme le dit Jim Skea, professeur à l’Imperial College de Londres et coprésident du groupe de travail à l’origine du rapport: « C’est maintenant ou jamais, si nous voulons limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. Sans réductions immédiates et significatives des émissions dans tous les secteurs, ce sera impossible”. Ce sont donc tous les secteurs de l’économie (transports, bâtiments, énergie, alimentation, …) qui doivent, dès maintenant, non seulement envisager, mais investir massivement (environ six fois plus) dans la mise en place de programmes de sortie des énergies fossiles

On peut y arriver. Mais ce qu’il faut comprendre c’est que la transformation est devant nous: soit nous allons vers une trajectoire qui nous mène au désastre, soit nous prenons les mesures nécessaires actuellement. [...] Nous implorons tout le monde qui nous écoute, de prendre ce message à cœur et de faire partie des personnes qui vont agir pour ce changement. Autrement, on n’y arrivera jamais.

Actuellement, la Suisse ne met en œuvre aucun plan concret  pour répondre à ses engagements internationaux et limiter le réchauffement à 1,5°C. Comme le disait Mme Sommaruga en octobre 2021, “Si nous discutons pendant des années, nous n’atteindrons pas nos objectifs”.

Pénuries et crise énergétique annoncées pour cet hiver

C’est annoncé, les Suisses risquent des pénuries d’énergie et des coupures d’électricité cet hiver. La guerre en Ukraine, qui a commencé fin février 2022, pousse l’Europe entière dans une grave crise énergétique qui guettait le continent depuis un moment déjà. 

La faute à qui ? À la mauvaise gestion des ressources,à l’utilisation “totalement irréfléchie » de l’énergie ainsi qu’à l’extrême dépendance de la Suisse aux pays étrangers en matière d’approvisionnement, que ce soit pour le gaz (notamment russe), le pétrole ou l’électricité. Actuellement, la suisse est autosuffisante en énergie à seulement 10%.  

Aucune mesure à long-terme n’est envisagée

Pour répondre à cette crise, le Conseil fédéral compte sur les initiatives individuelles et volontaires. Fin août 2022, la confédération, en collaboration avec Suisse Energie, a lancé la campagne Stop Gaspillage pour sensibiliser la population aux économies d’énergie et engendrer des changements de comportement à court-terme. Baisser le chauffage, cuisiner à couvert, éteindre les lumières, voire même s’armer de bougies et de bois. En plus de ces petits conseils, Berne prévoit d’utiliser des centrales électriques au gaz ou au pétrole en cas d’urgence. Vraiment ? Quand on sait que face aux risques de pénuries, de hausse des prix et, surtout, face aux risques majeurs et existentiels portés par la crise climatique, la seule solution viable à long-terme est de réduire aussi rapidement que possible notre dépendance aux énergies fossiles.

Les ménages et le chauffage: épouvantables gouffres énergétiques

En Suisse les bâtiments représentent la moitié (45%) de la consommation totale d’énergie et sont la deuxième source d’émission de C02, juste derrière les transports. Ils représentent environ 33 % de toutes les émissions de CO2. Malgré une forte baisse par rapport à 1990, les émissions des bâtiments en Suisse sont supérieures à la moyenne européenne. Dans les ménages, deux tiers de l’énergie finale part dans les chauffages qui fonctionne pour la plupart encore aux énergies fossiles

Ainsi, les bâtiments sont de véritables gouffres énergétiques. Cela a un impact à la fois sur le climat, mais aussi sur les habitants. Avec l’augmentation du prix de l’énergie, les personnes les plus précaires se retrouvent dans une situation risquée, pouvant mener à une impossibilité de se chauffer par manque de moyens. Selon l’ingénieur en énergie Marc Müller, cela pourra avoir comme conséquences de faire basculer une partie de la population dans la précarité énergétique.

La rénovation thermique des bâtiments: une mesure simple et nécessaire

L’urgence climatique implique d’agir «dans l’urgence». C’est le message de l’AEE Vaud, faîtière cantonale des spécialistes des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique.

L’efficacité énergétique désigne l’utilisation rationnelle de l’énergie, à savoir faire des économies et réduire la consommation. Elle se différencie des énergies renouvelables. Une efficacité énergétique élevée renferme de nombreux avantages. Elle permet de diminuer la consommation d’énergie, de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de gagner en indépendance énergétique et de diminuer les coûts. Sur ce dernier point, une meilleure isolation thermique permet d’économiser jusqu’à 60 % des coûts de chauffage. Par ailleurs, cela entraîne une baisse de la demande qui agit sur une baisse du prix

Pour gagner en efficacité énergétique, la rénovation du parc immobilier existant est une mesure qui renferme un très grand potentiel. C’est une des mesures phares proposée par les scientifiques du Giec. L’isolation divise par près de quinze les déperditions thermiques par rapport à la situation initiale, où l’isolation est totalement absente. Par ailleurs, mais pas des moindres, pour engager un changement structurel durable, il ne suffit pas de remplacer les chauffages fossiles par d’autres systèmes comme les pompes à chaleur, si l’enveloppe du bâtiment n’est pas optimisée en même temps (voir aussi energie-environnement.ch pour plus d’informations à ce sujet)

Les bases légales pour des programmes de rénovation et de transition énergétiques sont jetées avec la loi sur l’énergie, dont le but est de garantir une utilisation économe et efficace de l’énergie, et le programme bâtiment, dont l’objectif est, pour la Confédération et les cantons, de “réduire significativement la consommation d’énergie et les émissions de CO2 du parc immobilier suisse”. 

Selon la loi sur l’énergie, “s’il apparaît que l’approvisionnement énergétique de la Suisse n’est pas suffisamment assuré à long terme, la Confédération et les cantons créent à temps, et dans le cadre de leurs compétences respectives, les conditions permettant d’assurer les capacités voulues de production, de réseau et de stockage.

100 ans pour rénover l’ensemble des bâtiments en Suisse au rythme actuel

La rénovation des bâtiments est une mesure essentielle pour que la Suisse atteigne les objectifs climatiques qu’elle s’est fixés. Actuellement, un million de maisons sont à rénover d’urgence. Au rythme actuel,  il faudrait 100 ans pour réhabiliter l’ensemble du parc immobilier Suisse. En effet, le taux de rénovation de l’enveloppe existante du bâtiment est de 1 % par an. Pour atteindre les objectifs de la stratégie énergétique 2050, il faudrait doubler, voire tripler, ce pourcentage. Pour cela, il faudrait quintupler l’aide financière actuelle. La Société suisse des entrepreneurs plaide par ailleurs pour la suppression des obstacles et demande de simplifier et d’accélérer les autorisations de construire pour les assainissements. 

Le secteur du bâtiment: clé de voûte de la transition énergétique 

Chers représentants du secteur du bâtiment et de l’éducation, votre industrie me tient à cœur, vous façonnez l’avenir. Ce n’est qu’avec vous et grâce à vous que nous pourrons atteindre nos objectifs climatiques et énergétiques.

La réalisation des objectifs énergétiques et climatiques de la Confédération dépend largement du secteur du bâtiment, qui sera très sollicité et qui devra disposer de suffisamment de main-d’œuvre. Cependant, le secteur est menacé par une pénurie de spécialistes. En réponse à cette problématique, le secteur du bâtiment, les institutions de formation et la Confédération se sont unis pour lancer l’offensive de formation du secteur du bâtiment. Lancée en février 2022, l’offensive se fixe l’objectif de former “suffisamment de personnel qualifié compétent et à disposition pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques de la Suisse dans le secteur du bâtiment [afin que] les besoins […]  [puissent]  être traités rapidement et de manière compétente”. Toutefois, le programme ne présente aucune ambition et aucun objectif chiffré. Pour répondre au manque de main d’œuvre face à l’urgence et l’ampleur des mesures à prendre dans le secteur de la construction, Marc Müller propose de son côté  de faire appel à l’armée et au service civil pour isoler d’urgence les bâtiments. L’ingénieur en énergie propose en outre de faciliter la reconversion professionnelle des adultes, idée soutenue par l’élue Verte Delphine Klopfenstein Broggini.

Un investissement positif pour la Suisse

Il faut des investissements, mais les investissements on les a. Actuellement nous sommes en train de fournir des subsides aux énergies fossiles, ce sont des sommes que l’on pourrait détourner.

L’entretien, la rénovation et le développement dans le secteur de la construction et du bâtiment sont absolument essentiels mais coûtent cher. Selon la professeure Julia Steinberger, ce n’est pas l’argent qui manque, c’est une question d’investissements et de choix. Pour Simonetta Sommaruga, ces investissements en valent la peine car ils profitent à l’économie.

Christian Zeyer, directeur de Swisscleantech, a quant à lui une proposition bien concrète. Il propose l’idée de se servir d’un fonds alimenté par les assurances, les caisses de pension et les banques. La Banque Nationale suisse par exemple possède chaque année des bénéfices distribuables (entre 6 à 40 milliards) qui reviennent aux collectivités publiques, les deux tiers de cette somme au minimum allant aux cantons.

En termes économiques, l’Office Fédéral du Logement reconnaît la difficulté de concilier les objectifs sociaux et environnementaux. Afin d’éviter que les travaux de rénovation pèsent sur les dépenses des personnes à plus faible revenu notamment, il souligne qu’il faut s’efforcer de “concilier économie d’énergie et logement abordable”. Dans la perspective de protéger les locataires des hausses de loyer suite à l’assainissement de leur logement, l’Asloca Genève, propose, pour le canton, l’idée de s’appuyer sur la loi genevoise sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (LDTR). 

Finalement, il faut aussi mentionner que l’entretien, la rénovation et le développement dans le secteur de la construction génèrent une grande création de valeur dans le pays, via la création d’emplois et l’investissement local profitant aux entreprises suisses.

Des investissements massifs se font ailleurs en Europe, mais pas en Suisse

En juillet 2022, le gouvernement allemand a approuvé un "fonds spécial pour le climat et la transformation" qui prévoit d’investir 177,5 milliards d'euros au cours des quatre prochaines années pour aider à accélérer le passage à une économie plus propre et moins dépendante des énergies fossiles. Ce plan investit un total de 56,2 milliards d'euros d’ici à 2026 dans l’amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments. En Suisse, 126 millions de francs ont été investis dans la rénovation en 2021. En septembre 2022, dans le cadre du contre-projet à l’initiative pour les glaciers, le parlement a décidé d’allouer 2 milliards au cours des 10 prochaines années pour le changement des chauffages et l’isolation thermique des bâtiments, soit 200 millions de francs par an, au lieu du milliard nécessaire à la seule isolation thermique.

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